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mercredi 20 novembre 2019

Chirurgie artistique

... Ou comment terminer une sculpture inachevée

#Lakmé # sculpture #pierre # statue # stone # Emmanuel Sellier # Avant après # Before after # chirurgie artistique # artistic surgery


S'il est opération de chirurgie très délicate, c'est bien de reprendre le travail qu'un collègue n'aura pas pu finir. 

Quand mon client m'avait présenté la sculpture de Lakmé, j'ai failli décliner sa demande de bien vouloir la terminer. C'est qu'il ne s'agissait pas seulement d'achever quelques éléments et d'en modifier quelques autres... Il fallait vraiment tout reprendre. J'ai bien sûr demandé à recommencer à partir d'un nouveau bloc, mais on m'a expliqué que ce ne serait pas possible, ce que je peux comprendre vu l'investissement de la pierre et du temps déjà consacré à la dégrossir. Au cours de l'histoire de l'art, bien d'autres sculpteurs ce seront retrouvés dans ce cas de figure plutôt embarrassant, où l'on doit à la fois suppléer aux difficultés d'un collègue tout en conciliant les attentes bien légitimes d'un client.

Le cadre bucolique face à un château à l'élégance classique et l'étang duquel s'envolait hérons et aigrettes aura finalement eu raison de mes réticences. Je remercie en pensée mon collègue pour avoir fourni le très éprouvant travail de la mise en place des volumes et je prend le rôle du sculpteur "praticien", celui qui fini les sculptures après l'intervention du "metteur au point", comme c'était l'usage dans les grands ateliers de sculpture autrefois.
Nous convenons donc que je reviendrai dès l'automne avec tout l'outillage nécessaire pour sculpter cette pierre calcaire ferme, de 2,5 mètres de hauteur. Je ne cache pas qu'il devrait y avoir une greffe ou deux qu'une patine légère dissimulera ensuite harmonieusement. Comme disent les chirurgiens quand cela ne se présente pas forcément bien, j'ai dit que "je ferai au mieux"...

C'est à la tête que je me suis confronté dès le début; non seulement parce que je choisissais de travailler de haut en bas pour descendre l’échafaudage et les gravats au fur et à mesure mais surtout pour m'approprier tout de suite le sujet. Ce serait infiniment plus encourageant de travailler ensuite sous le regard bienveillant d'un visage agréable. Bonne nouvelle: la tête d'origine était à la bonne taille, elle respectait le canon de Lysippe. Par contre, le visage est trop massif, avec un front plat et des pommettes trop saillantes... caractères récurrents de ceux qui conçoivent le visage de face, à plat, au lieu d'en saisir les volumes.

Pour le gros collier, pardon mais je n'ai eu aucune pitié. Le cou et les épaules d'une femme me paraissent toujours plus plaisant que le décorum qu'elle peuvent arborer parfois. Je sabre donc les bijoux sans  remords!

Quant au drapé, c'était une tout autre "paire de manches", si j'ose dire! Tout d'abord, les manches laissées par mon prédécesseur alourdissaient énormément la silhouette. Que dire aussi des plis de la robe tombant entre les jambes? Ils étaient trop peu vraisemblables. Il me fallait revisiter la garde robe de Lakmé...  et c'est une peinture flamande du  XVII ème siècle qui m'a apporté la solution: des manches resserrées et un corset qui permettrait de justifier de la poitrine qui avait été placée trop haut. En plus de tout cela, la tenue sera parfaitement contemporaine du château!


La Joueuse de luth, par Cornelis Bega, 1664
Il ne restait plus enfin qu'à concevoir le drapé pour qu'il soit un peu plus qu'un simple décor plaqué sur le corps. J'ai profité de tout le volume de pierre dont je disposais encore pour imaginer le souffle du vent plaquant la robe sur les jambes et le bassin tout en générant de larges plis à l'opposé. Ce jeux de lignes rythmées, accompagnerait et soulignerait l'anatomie. L'art du drapé c'est au moins de participer à l'architectonique d'une figure.

Dans tout cela, j'en ai complètement oublié de faire une ébauche, voire même quelques dessins. Nul négligence de ma part en réalité car je préférais laisser mes pensées aller avec les hérons et les aigrettes... Seule la petite voix - l'intuition - est bonne inspiratrice! 

Je vous laisse maintenant circuler à 360 ° autour de la statue, comme si vous étiez dans le parc du château. Ces photos comparant la silhouette ébauchée "avant" avec l’œuvre "après" soulignent d'après moi la magie de la taille de la pierre... Alors que l'on croirait cet art enfermé dans la rigueur de la technique et de la matière ont s'émerveille de constater qu'une sculpture peut toujours trouver une seconde vie.


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On remarquera que le drapé concours maintenant à donner beaucoup plus de dynamisme, simplement en formant des plis perpendiculaires au mouvement de la cuisse.
A noter aussi que j'ai choisi de retirer la sandale qui avait été prévue à l'origine par mon prédécesseur. Un pied est toujours plus évocateur que des bandes de cuirs entrelacées. Ce pied nu donne concours également à donner de la force au sujet: cette femme semble d'autant plus forte qu'elle est bien ancrée sur la roche.

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 Le drapé ne saurait être un décor plaqué sur la masse présumé d'un vêtement. Les plis et le corps s'épousent pour se mettre en valeur mutuellement. Alors seulement la composition devient souple et pleine de vie.


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Il est important de donner à voir, la sculpture est un art visuel. Les détails anatomiques sont de premières importances car ils permettent car ils permettent d'en comprendre le mouvement et par conséquent d'en ressentir l'émotion.
Varier les textures satisfait ensuite la curiosité de l’œil. Les plis serrés du corset et du chemisier font d'autant plus apprécier le fait que ceux de la robe soient étirés et plaqués par le vent. Tout en bas, la roche à également pour effet de renforcer la finesse des étoffes.
Mais plus encore, il fond jouer avec les ombres. Une sculpture qui n'est pas incisée de "noirs" marqués parait plus massive et manque de légèreté.



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Une difficulté avec les drapés c'est que l'on néglige souvent le corps en dessous... Sur la photo de gauche on devine le volume initialement prévu pour le pied droit. Il se trouve juste au dessus du "e" de "before". Compte tenu que l'autre pied était posé bien en avant, on pouvait se poser la question comment Lakmé ne serait pas tombée en arrière?
Pour ne pas se tromper, on retiendra que la ligne de gravité d'un corps debout passe par les oreilles et les hanches, mais sans oublier les pieds.

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On remarquera l'importance des "noirs", ces creux profonds qui prennent les ombres. C'est grâce à eux que les yeux sont aussi expressifs. Je ne remercie jamais assez mon apprentissage de l'ornementation pour m'avoir appris à donner de la "lisibilité" aux sculptures.






lundi 23 septembre 2019

7 jours pour voir la Vierge


Tout aura commencé quand Nicolas Degen , tailleur de pierre dans les Ardennes belge aura pris pour stagiaire un élève que j'avais en formation de sculpture. Nous avons très vite sympatisé car il partage avec moi la culture d'un métier resté encore traditionnel et il m'accorda bientôt sa confiance en m'offrant de réalisater la statue d'une Vierge au serpent pour l'église de Baudour en Belgique. 

Les vestiges de l'ancienne statue étaient peu lisibles, mais je me permetais toutefois d'imaginer que la tête devait être inclinée délicatement et les mains croisées sur le coeur. Des oeuvres contemporaines- de la fin du XIXième siècle me confirmèrent d'ailleurs dans ce choix. 

Dès que l'architecte a validé mes esquisses, j'entreprend de dégrossir le bloc de pierre de Savonnière, en commençant par le socle de style néogothique.

Voici la seule photo dont on disposait pour imaginer ce à quoi ressemblait la statue avant que l'érosion l'ai rendu presque illisible. L'esquisse déssinée à même la photo permet de traduire rapidement mon projet. 


Pour dégrossir la statue, je procède comme d'habitude:
1: casser les angles à la "chasse"... on y voit tout de suite un peu plus clair!

2: trouver la silhouette générale, avec le puissant marteau pneumatique "col de cygne"

3: placer les principaux volumes



Un serpent aussi expressif que la Vierge sera délicate, il sera taillé au marteau pneumatique nettement plus petit, le FK 714



Même caché sous le drapé, il faut parvenir à trouver le corps. 
Si on ne pouvait deviner la position du bassin, des épaules et des jambes, les plis les réalistes, voire les plus élégant n'offriront jamais plus à la statue de ressembler à un sac...
Il ne faut pas si méprendre: suggérer le corps n'est pas de l'érotisme, c'est rechercher la vérité qui va donner vie à l'oeuvre


D'entre Marie Madeleine et la Vierge, on ne saurait faire la différence s'il n'y avait le serpent sous son pied menu.

Cas rare où les cheveux de la Vierge ne sont pas cachés, même pas ceint d'une couronne. Un choix iconographique qui m'a ravi. Sculpter une telle chevelure est toujours un vrai plaisir!

Le 7 ème jour 
Vierge au serpent de Baudour, sculpture en pierre d'Emmanuel Sellier, Statue de MarieStatue of the Holy Virgin Mary, 圣母玛利亚的雕像, Estatua de la virgen maría, Statua della Vergine Maria, 聖母マリアの像, Estátua da Virgem Maria,


Au final, ce seront 7 jours que j'aurai mis pour sculpter la Vierge... Certains diront que c'est très long et qu'ils n'auraient jamais eu la patience, d'autres reconnaitront que c'est très rapide, même comparé à ce que les nouvelles technologies peuvent offrir aujourd'hui.


D'ailleurs, avant de me confier cette commande, mon client avait pris la peine de réfléchir à la faire réaliser par une machine. Certains se seront hâtés de lui prétendre que l'on ne pourrait plus faire autrement! Peut-être aurait-elle mis moins de temps encore, mais il a toutefois préféré que la statue soit taillée à la main. En faisant ce choix, il contribua à préservé un savoir faire unique, bien sûr, mais pas seulement...



Ce que la machine ne pouvait faire, outre la créativité, c'était de d'avoir des sentiments. Comment pourrait-on déposer quelques émotions que ce soit dans un matériau si on en possède pas soi-même? Cette sculpture est dépositaire du bonheur que j'ai eu de la réaliser, elle est chargée d'une part de mon âme.



Bien plus qu'une roche prenant la forme de la Vierge, c'est devenu une prière sculptée dans la pierre





mardi 9 avril 2019

Une Déesse endormie

The Wave, sculpture en marbre de Carrare, 2003
Retour au marbre... 
J'ai tant aimé la pierre et le modelage que j'en aurais presque oublié le marbre. "The Wave" aura été ma dernière oeuvre sculptée en Carrare, et c'était il y a 16 ans!  Il aura fallu attendre cette année pour que je ressorte de mon stock de pierre un nouveau bloc de marbre. Mon plaisir fut grand quand, les premiers coups de ciseaux portés, je découvrais que mon marbre n'était pas n'importe lequel: c'était un blanc pur de qualité "statuario"! 

Le choix  du retour au marbre s'était imposé avec évidence puisque le thème de mon nouveau projet était l'antiquité. C'était une idée à laquelle je tenais beaucoup. Je l'avais d'ailleurs imaginée initialement pour le concours de sculpture "les rencontres des gradines" à Saint Maximin, dans l'Oise.

C'était en juin 2018, deux jours de compétition durant lesquels j'avais choisi de reproduire dans un bloc de pierre tendre ma délicate maquette en terre cuite. On peut penser que la déesse m'aura porté chance puisque je remportais alors le premier prix du concours!


maquette en faïence patinée de la "Déesse endormie",  réalisée avant le concours
le concours de sculpture "les rencontres des gradines" à Saint Maximin en 2018




Heureux, bien sûr... mais pas complètement, car finalement la pierre calcaire que je venais de tailler ne pouvait évoquer l'art romain aussi bien que le marbre. Une légère déception qui aura attendu jusqu'au printemps suivant pour trouver sa pleine satisfaction... La Déesse se sera t'elle alors réveillée de sa longue dormance?.. Je vous laisse la découvrir, avant et après:
Le marbre en cours de taille

La Déesse endormie, sculpture en marbre de Carrare, L=50 cm, 2019












dimanche 20 janvier 2019

La ligne d'arrivée

Les coureuses, statues exposées à langeais, en Indre et Loire (France) 

Peut-être l'aurez-vous suivi? Le groupe des trois statues qui couraient à Langeais avait été victime d'iconoclastes certainement plus brutaux que maladroits. Dans la nuit du 26 décembre, toutes les mains droites avaient ainsi été fracturées puis emportées avant d'être retrouvées plus loin dans la ville écrasées par terre. Un  quatrième main était à son tour vandalisée quelques nuits plus tard.  La course si paisible jusqu'à lors de mes statues devenait un vrai contre-la-montre pour les sauver de nouvelles dégradations qui pourraient s'avérer fatales, tout comme ma précédente sculpture venait déjà d'en faire les frais quelques mois plus tôt ( cliquez ici pour pour en savoir plus).

Heureusement que toutes les courses prennent fin un jour: pile un an après avoir installé mes sculptures dans la ville, je viens de les retirer pour les installer chez leur bienheureux client! Le bienfaiteur des trois coureuses les aura adoptées malgré leurs handicap.  

Posées en lieu sûr, les statues auront finalement retrouvées toutes leurs mains. Je les ai réparées depuis avec soin. Je me permet même de croire qu'elles sont plus belles aujourd'hui... Comme quoi il faut toujours garder espoir dans une fin heureuse!



J'en ai profité pour modifier le mouvement de la main. Il est désormais plus souple,
comme le serait justement une joggeuse soulagée de passer enfin la ligne d'arrivée.

On voit ici la greffe en pierre de Saint Maximin, juste avant qu'elle soit scellée avec deux goujons en fibre de verre.

La course continu mais dans une cours... Seul mon client pourra désormais la suivre!